Mon quartier
Il y a une fille qui prend le métro à 10h40, tous les matins. Je la croise sur le quai, on monte toujours dans la même partie du train, elle marche devant moi dans les couloirs. Enfin je la laisse marcher devant moi pour pouvoir la regarder.
Elle a des cheveux très longs,blonds,avec de belles anglaises très serrées qui lui tombent dans le bas des reins. Elle est toute petite, peut être 1m55,avec une veste en cuir et des fesses généreuses.
Moi, je suis spectatrice de ses fesses,et de ses cheveux qui se balancent juste au dessus d'elles.
On descend ensemble dans mon quartier, je la regarde s'enfuir dans une rue après la mienne. Je ne vois jamais son visage. Je ne cherche pas à le voir.C'est mon fantôme-fantasme. Je la laisse caresser mon imaginaire.
Lorsque je sors du métro, juste à côté de la première boulangerie,il y a un jeune mec, je dirais 35 ans à tout casser,assis,les bras croisés,toujours sur la même marche,et qui ne demande rien.
Il est propre, rasé,vêtements normaux. Ni guenilles,ni ongles noirs,ni canette de bière à la main, ni gobelet qui traîne.
Non, un homme, assis sur une marche, un coussin sous les fesses, vêtu de bleu marine. Veston, pantalon à pinces,chaussures neuves,bonnet.
Un jour, en sortant de la boulangerie je lui ai donné une pièce,il a comme sursauté avant de me remercier.
Tous les soirs à 19h, quand je passe devant sa marche, il n'y est plus.
Il arrive vers 10h et repart vers 17H30.
Comme s'il attendait quelquechose, ou peut-être quelqu'un.
Mo il est marrant. Il me demande toujours comment va la santé, c'est la première chose importante pour lui. Il m'appelle ma soeur et me fait un petit "give me five" en tapant son poing sur son coeur . C'est le laveur de vitre du coin. Pas un des laveurs de vitres,non, LE laveur de vitrines et carreaux de tout le quartier. Monsieur est même copain avec le Maire de la ville qui lui file quelques petits chantiers quand c'est trop la galère.
Il a toujours le sourire Mo, et fait marrer toutes les filles du quartier derrière les vitrines. Il me parle du Coran, il me raconte des trucs sur la caf, puis sur les détaxes,les voitures,le bled.
Il me parle de ses enfants, il en a 4. Il me parle des mamans: Suédoise, française, Tunisienne. On parle des cultures, de la vie.
Je l'aime bien.
Et quand mes doigts sont trop rouges, et que le froid me cogne les articulations, il prend ma perche, et nettoie ma vitrine pour moi. Il m'apprend comment ne pas laisser de traces avec le produit.
Un clin d'oeil plus tard il file et se faufile dans les rues étroites du Marais.
En face de ma boutique se trouve un bâtiment célèbre, un truc bien organisé,façon fourmilière, où des tas de gens viennent avec espoir.
J'ai la chance de travailler du côté de l'entrée des artistes,du côté pro, là où le personnel entre.
J'ai surtout la chance de connaître France et T. Les deux vigiles. Deux immenses mecs d'1m95, en costards noirs, accoudés aux barrières qui longent les trottoirs. Une clope au bec, et des rires à gorge déployée. Ils se marrent sans arrêt. Il te parlent des femmes, de leurs femmes, des vacances, de la martinique, du manque de soleil. Il se foutent de la gueule de tous ces réunionnais, avec leurs autocollants à l'arrière de la bagnole qui leur rappellent le pays. Tous ces mecs en manque de soleil qui écoutent du zouk fenêtres ouvertes et coquillages au pare brise.
Ils se marrent, et tu te bidonnes avec eux.
Et, c'est étonnant,mais quand je nettoie les vitrines l'été, en robe sur mon escabeau, j'entends des pas derrière moi...
Ils ont ouvert les lourdes portes de bois du bâtiment et je vois toute l'équipe de la sécurité adossée au mur, le regard droit sur mes fesses. Je râle fort... et ils applaudissent. 10 mecs en costard sur le pavé qui applaudissent mon petit spectacle.
Ils ont pris des sceaux d'eau sur les pompes ceux-là ! Mais chaque été,pas découragés, il me font de nouveau le coup. Alors à force, je ne le montre pas,mais je me marre un peu aussi sur mon escabeau....
La boutique fleurie qui est ma voisine est tenue par une anglaise aux yeux bleus limpides. Une nana avec autant de douceur que de glace dans les yeux. Une femme extraordinaire qui est mon phare.
Entre deux cafés on se raconte nos histoire de coeurs qui chavirent. Elle me parle de voyages et de vie. Elle aime la vie assurément.
Un soir elle m'a kidnappée, pour me faire découvrir un resto où tu manges 500g de viande au coin du feu, en chantant des chansons débiles, avec d'autres personnes à ta table. Rideaux vichy et tables massives. Patron généreux et pommes de terre à l'ail. On ferme la porte, on tamise les lumières, et tout le monde se met à cloper là dedans en buvant du rouge.
L'anglaise a 20 ans dans ses 50. Elle me traîne partout dès qu'elle peut,elle partage. Elle partage vraiment. Elle donne.Elle me laisse habiter chez elle quand elle s'en va. Alors, je regarde les toits de Paris la nuit,coulée dans un bain chaud.
Le caissier du Franprix a bien 60 ans, une moustache grise et les yeux timides qui osent à peine vous regarder. Il me fait des sourires et me demande toujours comment je vais.
Ce soir, il porte une chemise et du gel dans les cheveux.
Je lui demande ce qu'il fête.
Il lève le menton en direction de la caisse d'à côté. Je vois sa collègue, un peu plus jeune qui nous jette un rire discret.
Ce soir il a rencard, et ça lui donne des airs d'adolescent. Il fait biper les articles le regard dans le vide,la chemise sans un plis.
Je sors discrètement en lui souhaitant bonne chance.
Il y a un théâtre, dans la rue d'à côté, où jouent mes amis.
Il y a un bar où j'ai pleuré.
Il y a un restau où l'on m' embrasse.
Il y a des galeries où l'on est comme chez soi.
Il y a une quebecquoise et des litres de peinture.
Il y a les acteurs ratés qui vous invitent à boire du mauvais café.
Il y a ce couple bohème, qui bouquine au soleil, sur un banc, le ventre vide.
Il y a des japonais avec qui l'on copine.
Il y a tous ces hommes qui oublient que je suis une femme.
Il y a du bois doré et une serrure que je connais bien.
Un vélo et deux cadenas que je sors chaque matin.
Vous allez me manquer.
Elle a des cheveux très longs,blonds,avec de belles anglaises très serrées qui lui tombent dans le bas des reins. Elle est toute petite, peut être 1m55,avec une veste en cuir et des fesses généreuses.
Moi, je suis spectatrice de ses fesses,et de ses cheveux qui se balancent juste au dessus d'elles.
On descend ensemble dans mon quartier, je la regarde s'enfuir dans une rue après la mienne. Je ne vois jamais son visage. Je ne cherche pas à le voir.C'est mon fantôme-fantasme. Je la laisse caresser mon imaginaire.
Lorsque je sors du métro, juste à côté de la première boulangerie,il y a un jeune mec, je dirais 35 ans à tout casser,assis,les bras croisés,toujours sur la même marche,et qui ne demande rien.
Il est propre, rasé,vêtements normaux. Ni guenilles,ni ongles noirs,ni canette de bière à la main, ni gobelet qui traîne.
Non, un homme, assis sur une marche, un coussin sous les fesses, vêtu de bleu marine. Veston, pantalon à pinces,chaussures neuves,bonnet.
Un jour, en sortant de la boulangerie je lui ai donné une pièce,il a comme sursauté avant de me remercier.
Tous les soirs à 19h, quand je passe devant sa marche, il n'y est plus.
Il arrive vers 10h et repart vers 17H30.
Comme s'il attendait quelquechose, ou peut-être quelqu'un.
Mo il est marrant. Il me demande toujours comment va la santé, c'est la première chose importante pour lui. Il m'appelle ma soeur et me fait un petit "give me five" en tapant son poing sur son coeur . C'est le laveur de vitre du coin. Pas un des laveurs de vitres,non, LE laveur de vitrines et carreaux de tout le quartier. Monsieur est même copain avec le Maire de la ville qui lui file quelques petits chantiers quand c'est trop la galère.
Il a toujours le sourire Mo, et fait marrer toutes les filles du quartier derrière les vitrines. Il me parle du Coran, il me raconte des trucs sur la caf, puis sur les détaxes,les voitures,le bled.
Il me parle de ses enfants, il en a 4. Il me parle des mamans: Suédoise, française, Tunisienne. On parle des cultures, de la vie.
Je l'aime bien.
Et quand mes doigts sont trop rouges, et que le froid me cogne les articulations, il prend ma perche, et nettoie ma vitrine pour moi. Il m'apprend comment ne pas laisser de traces avec le produit.
Un clin d'oeil plus tard il file et se faufile dans les rues étroites du Marais.
En face de ma boutique se trouve un bâtiment célèbre, un truc bien organisé,façon fourmilière, où des tas de gens viennent avec espoir.
J'ai la chance de travailler du côté de l'entrée des artistes,du côté pro, là où le personnel entre.
J'ai surtout la chance de connaître France et T. Les deux vigiles. Deux immenses mecs d'1m95, en costards noirs, accoudés aux barrières qui longent les trottoirs. Une clope au bec, et des rires à gorge déployée. Ils se marrent sans arrêt. Il te parlent des femmes, de leurs femmes, des vacances, de la martinique, du manque de soleil. Il se foutent de la gueule de tous ces réunionnais, avec leurs autocollants à l'arrière de la bagnole qui leur rappellent le pays. Tous ces mecs en manque de soleil qui écoutent du zouk fenêtres ouvertes et coquillages au pare brise.
Ils se marrent, et tu te bidonnes avec eux.
Et, c'est étonnant,mais quand je nettoie les vitrines l'été, en robe sur mon escabeau, j'entends des pas derrière moi...
Ils ont ouvert les lourdes portes de bois du bâtiment et je vois toute l'équipe de la sécurité adossée au mur, le regard droit sur mes fesses. Je râle fort... et ils applaudissent. 10 mecs en costard sur le pavé qui applaudissent mon petit spectacle.
Ils ont pris des sceaux d'eau sur les pompes ceux-là ! Mais chaque été,pas découragés, il me font de nouveau le coup. Alors à force, je ne le montre pas,mais je me marre un peu aussi sur mon escabeau....
La boutique fleurie qui est ma voisine est tenue par une anglaise aux yeux bleus limpides. Une nana avec autant de douceur que de glace dans les yeux. Une femme extraordinaire qui est mon phare.
Entre deux cafés on se raconte nos histoire de coeurs qui chavirent. Elle me parle de voyages et de vie. Elle aime la vie assurément.
Un soir elle m'a kidnappée, pour me faire découvrir un resto où tu manges 500g de viande au coin du feu, en chantant des chansons débiles, avec d'autres personnes à ta table. Rideaux vichy et tables massives. Patron généreux et pommes de terre à l'ail. On ferme la porte, on tamise les lumières, et tout le monde se met à cloper là dedans en buvant du rouge.
L'anglaise a 20 ans dans ses 50. Elle me traîne partout dès qu'elle peut,elle partage. Elle partage vraiment. Elle donne.Elle me laisse habiter chez elle quand elle s'en va. Alors, je regarde les toits de Paris la nuit,coulée dans un bain chaud.
Le caissier du Franprix a bien 60 ans, une moustache grise et les yeux timides qui osent à peine vous regarder. Il me fait des sourires et me demande toujours comment je vais.
Ce soir, il porte une chemise et du gel dans les cheveux.
Je lui demande ce qu'il fête.
Il lève le menton en direction de la caisse d'à côté. Je vois sa collègue, un peu plus jeune qui nous jette un rire discret.
Ce soir il a rencard, et ça lui donne des airs d'adolescent. Il fait biper les articles le regard dans le vide,la chemise sans un plis.
Je sors discrètement en lui souhaitant bonne chance.
Il y a un théâtre, dans la rue d'à côté, où jouent mes amis.
Il y a un bar où j'ai pleuré.
Il y a un restau où l'on m' embrasse.
Il y a des galeries où l'on est comme chez soi.
Il y a une quebecquoise et des litres de peinture.
Il y a les acteurs ratés qui vous invitent à boire du mauvais café.
Il y a ce couple bohème, qui bouquine au soleil, sur un banc, le ventre vide.
Il y a des japonais avec qui l'on copine.
Il y a tous ces hommes qui oublient que je suis une femme.
Il y a du bois doré et une serrure que je connais bien.
Un vélo et deux cadenas que je sors chaque matin.
Vous allez me manquer.
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