Il faut laisser aller le passé
« Il faut laisser aller le passé » a t-il
dit.
Bon, très bien.
A première vue ça a l’air simple.
Ça me donne envie d’essayer en tout cas.
Je suis dans cette boutique qui vend des cailloux de toutes
les couleurs. Les cailloux qui font du bien. Ceux pour l’ancrage, ceux pour les
migraines, les maux de dos, la protection des ondes maléfiques etc Et
maintenant que le vendeur a lancé cette réplique j’ai le cerveau qui capote.
J’ai les neurones qui se dispersent et la vue un peu floue, je crois que j’essaie
d’entrevoir ce que ça pourrait bien faire de me couper de mes souvenirs ;
quelle version de soi on peut bien être sans le fardeau des années et les
images qui nous définissent au travers de nos petites lunettes
intérieures ?
Quand il a lancé cette phrase, j’ai d’abord pensé qu’il
fallait être sacrément naze pour sortir des banalités pareilles à la première
venue qui se paie du quartz pour calmer son lumbago. Je ne me suis pas sentie
visée, il n’avait qu’à la chanter à d’autres sa rengaine du rayon développement personnel de la fnac.
Et pourtant…
Je pourrais être libre, complètement. Faire peau neuve.
N’être plus dessinée par toutes ces informations intimes qui
me contrastent. Je pourrais jouer à redéfinir les contours, à ajouter un peu de
matière, à en retirer. Je pourrais être sans avoir eu. Je pourrais vivre sans
avoir peur. Pas de conséquences, pas de nœuds, pas de croyances.
Juste des espoirs, des attentes peut-être.
Plus de garçons qui brisent mes rêves, plus de villes pour
casser mes ciels, plus de cils pour trier mes larmes, plus de pavés pour porter
mes deuils, plus d’armoires pour cacher mes lettres, plus de destinataires
errants dans les couloirs de ma tête. Plus de courants d’air dans ma nuque et
d’impression de printemps, ceux des premiers amours de nos 12 ans et des
beignets de fleurs d’acacias.
On pourrait dénouer mon corps de toutes les bouches qui se
sont posées sur lui.
Il pourrait n’être qu’un ensemble de traits, nouveau dans
l’espace des jours, prêt à exister pour la première fois sous un regard.
Je pourrais me laver de tous les silences douloureux qui
veulent dire non ou adieu. Oublier tes pas gris et tes cheveux, juste là sur ta
tempe. Aimer des hommes sans indicateur inconscient, sans cette trame dans mon
cœur qui repère sans doute des échos entre chacun de mes partenaires. Pouvoir
faire un choix arbitraire, sans lésions.
Te choisir parce que je te trouve
beau, sans souffrir que les petites rides aux coins de tes yeux me ramènent à
un amant perdu.
Peut-être alors, que si toi aussi tu déposais tout ce passé
qui te sert de nid, on pourrait se rencontrer. Ne s’identifier à rien, faire un
pas, et aller à la rencontre de soi au travers de l’autre.
Juste comme ça, parce que ça fait du bien d’avoir ton nez
dans mes cheveux.
Juste comme ça, parce que la vie il n’y en aura pas deux.
A quoi vont-ils bien pouvoir nous servir tous ces
souvenirs ? Ceux qu’on n’écrit pas, ceux qu’on ne laisse pas s’endormir au
creux de soi et que l'on berce frénétiquement, de peur de se perdre et de n’être plus personne.
Alors on y va?
Alors on y va?
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