Le club des divorcés
Le club des divorcés se réuni le dimanche soir.
Le plus souvent c'est chez Greg. Il a une grande maison en plein centre ville avec une cour ombragée par les façades de ses voisins et il y a ce superbe jardin suspendu juste en face. Celui du dentiste le plus réputé de la région. Ses volets sont toujours fermés et les plantes ont un peu soif, mais ça donne une impression de jungle urbaine et on peut profiter de la vue.
On est là, autour d'une table en plastique, à siroter de la heineken tiède et à se raconter les frasques du week-end. On se raconte, on se charie, on balance des dossiers, on fait le tour de la petite communauté de notre ville pour tailler des shorts à certains et en rire trop fort. On écoute les derniers morceaux de rock indé, fenêtres ouvertes, son à fond. Et on oublie presque que c'est dimanche, on oublie presque les 40, on oublie presque...Merde, les gamins voulaient manger des knackis...Il est 22heures, c'est l'heure où les parents indignes comme nous filent chez l'indien du quartier pour acheter 4 steaks hachés congelés et une bouteille de rosé.
Les vrais parents, eux, ceux qui n'ont pas encore le poids d'un divorce dans leur chariot, font leur courses à des heures raisonnables sans doute au carrefour du centre commercial. Avec beaucoup de sérieux et de coupons réduction. Nous, on improvise des omelettes aux lardons.
Dans la salle de bain de la maison, les affaires se mélangent. On sent bien que Greg n'a plus vraiment la main sur les enfants, il semble habiter chez eux. Les tubes de dentifrice à la fraise côtoient les chouchous à paillettes pour les cheveux de Lise, quelques mécanos abîmés, attendent leur fin de vie près du bac de douche, le miroir au dessus de la vasque est une constellation d'étiquettes de pommes et mandarines, avec de ci-de là, des projections de savon. Les serviettes se paient le loisir de sécher à leur temps, en boule par terre, et la panière de linge a probablement une gastro. Les seuls indices qui révèlent la présence d'un adulte masculin dans ce secteur sont les trois "Auto Magazine" couchés près des wc.
Je trouve ça touchant, ça me transperce à vrai dire. Car c'est l'image de la vérité, de la vie qui s'en fout, des travers qu'on regarde passer, des "on verra demain". Les ruptures, quelles qu'elles soient dans la vie, ont ce bénéfice de nous ramener à l'essentiel.
La pièce à vivre est quant à elle un repère de pirates. Un monde imaginaire qu'on peut construire à vue avec un esprit d'enfant. Une cabane géante de papa désoeuvré, et de maison en vente depuis un hiver de trop. Un dédale de cartons à moitié pleins, des sacs, des cabas, tout l'attirail pour s'en aller bientôt d'ici. Des chemises qui sèchent sur les radiateurs. Un canapé d'étudiant, des fauteuils abîmés qu'on a gentiment prêté, une table de salon étroite et poisseuse, et en guise de relique du passé, un lampadaire de créateur hors de prix. Vestige d'une autre époque et d'une décoration choisie en couple, main sur le cul de l'ex, un dimanche matin.
La maison est une histoire, elle raconte tout l'amour perdu, toute la tristesse, mais aussi toute la reconstruction que demandent les abandons.
Les enfants nous lancent du premier étage des messages codés sur de minuscules morceaux de papiers qui inévitablement tombent dans nos verres, ils commandent des gâteaux apéros qu'on leur envoie par un système fragile de poulie bricolé deux minutes avant. C'est créatif le bordel. Le dimanche ressemble à des vacances de plein mois d'août, où chacun trinque à la santé des autres pendant que des fou-rires se font entendre du côté de la jeunesse.
Les heures se fatiguent et le ciel devient étoiles. Il fait un peu frais alors on déménage notre apéritif à l'intérieur de la maison. La table sur la terrasse est devenu en quelques heures un univers à elle seule, où chaque élément qui y est disposé raconte une partie de la soirée. Hélène a subi du harcèlement au travail, Fred avait une ex perverse narcissique, Greg et son histoire de clubs de golf contrefaits, le dernier concert à Nantes, les problèmes de FIV, les demandes incongrues des acheteurs, les patrons qui font du zèle, les coeurs qui battent moins bien qu'avant, les rideaux qu'il faudra penser à décrocher.
Nos solitudes se tiennent chaud, et bientôt c'est l'intimité de ce salon en carton qui nous apportera tout le réconfort qu'on mérite. Parce que c'est pas facile de se donner du courage, parce que c'est pas évident d'aller de l'avant, parce que c'est pas croyable la façon dont tout s'est effondré, parce qu'on aurait jamais cru ça possible...
Et parce que merde, on a tous essayé d'aimer...
Le plus souvent c'est chez Greg. Il a une grande maison en plein centre ville avec une cour ombragée par les façades de ses voisins et il y a ce superbe jardin suspendu juste en face. Celui du dentiste le plus réputé de la région. Ses volets sont toujours fermés et les plantes ont un peu soif, mais ça donne une impression de jungle urbaine et on peut profiter de la vue.
On est là, autour d'une table en plastique, à siroter de la heineken tiède et à se raconter les frasques du week-end. On se raconte, on se charie, on balance des dossiers, on fait le tour de la petite communauté de notre ville pour tailler des shorts à certains et en rire trop fort. On écoute les derniers morceaux de rock indé, fenêtres ouvertes, son à fond. Et on oublie presque que c'est dimanche, on oublie presque les 40, on oublie presque...Merde, les gamins voulaient manger des knackis...Il est 22heures, c'est l'heure où les parents indignes comme nous filent chez l'indien du quartier pour acheter 4 steaks hachés congelés et une bouteille de rosé.
Les vrais parents, eux, ceux qui n'ont pas encore le poids d'un divorce dans leur chariot, font leur courses à des heures raisonnables sans doute au carrefour du centre commercial. Avec beaucoup de sérieux et de coupons réduction. Nous, on improvise des omelettes aux lardons.
Dans la salle de bain de la maison, les affaires se mélangent. On sent bien que Greg n'a plus vraiment la main sur les enfants, il semble habiter chez eux. Les tubes de dentifrice à la fraise côtoient les chouchous à paillettes pour les cheveux de Lise, quelques mécanos abîmés, attendent leur fin de vie près du bac de douche, le miroir au dessus de la vasque est une constellation d'étiquettes de pommes et mandarines, avec de ci-de là, des projections de savon. Les serviettes se paient le loisir de sécher à leur temps, en boule par terre, et la panière de linge a probablement une gastro. Les seuls indices qui révèlent la présence d'un adulte masculin dans ce secteur sont les trois "Auto Magazine" couchés près des wc.
Je trouve ça touchant, ça me transperce à vrai dire. Car c'est l'image de la vérité, de la vie qui s'en fout, des travers qu'on regarde passer, des "on verra demain". Les ruptures, quelles qu'elles soient dans la vie, ont ce bénéfice de nous ramener à l'essentiel.
La pièce à vivre est quant à elle un repère de pirates. Un monde imaginaire qu'on peut construire à vue avec un esprit d'enfant. Une cabane géante de papa désoeuvré, et de maison en vente depuis un hiver de trop. Un dédale de cartons à moitié pleins, des sacs, des cabas, tout l'attirail pour s'en aller bientôt d'ici. Des chemises qui sèchent sur les radiateurs. Un canapé d'étudiant, des fauteuils abîmés qu'on a gentiment prêté, une table de salon étroite et poisseuse, et en guise de relique du passé, un lampadaire de créateur hors de prix. Vestige d'une autre époque et d'une décoration choisie en couple, main sur le cul de l'ex, un dimanche matin.
La maison est une histoire, elle raconte tout l'amour perdu, toute la tristesse, mais aussi toute la reconstruction que demandent les abandons.
Les enfants nous lancent du premier étage des messages codés sur de minuscules morceaux de papiers qui inévitablement tombent dans nos verres, ils commandent des gâteaux apéros qu'on leur envoie par un système fragile de poulie bricolé deux minutes avant. C'est créatif le bordel. Le dimanche ressemble à des vacances de plein mois d'août, où chacun trinque à la santé des autres pendant que des fou-rires se font entendre du côté de la jeunesse.
Les heures se fatiguent et le ciel devient étoiles. Il fait un peu frais alors on déménage notre apéritif à l'intérieur de la maison. La table sur la terrasse est devenu en quelques heures un univers à elle seule, où chaque élément qui y est disposé raconte une partie de la soirée. Hélène a subi du harcèlement au travail, Fred avait une ex perverse narcissique, Greg et son histoire de clubs de golf contrefaits, le dernier concert à Nantes, les problèmes de FIV, les demandes incongrues des acheteurs, les patrons qui font du zèle, les coeurs qui battent moins bien qu'avant, les rideaux qu'il faudra penser à décrocher.
Nos solitudes se tiennent chaud, et bientôt c'est l'intimité de ce salon en carton qui nous apportera tout le réconfort qu'on mérite. Parce que c'est pas facile de se donner du courage, parce que c'est pas évident d'aller de l'avant, parce que c'est pas croyable la façon dont tout s'est effondré, parce qu'on aurait jamais cru ça possible...
Et parce que merde, on a tous essayé d'aimer...
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