le vernis

Je me suis dit "merde, il vieillit". Ça a commencé comme une maladie, il y a quelques mois.
 D'abord, il ne voulait pas de sapin pour noël, soit disant ça fout des épines partout dans la maison, et après faut le cramer, c'est crevant. Avant, il allait de bon matin un samedi acheter le plus gros, le plus grand, et le plus touffu, pour le mettre en plein milieu du salon et faire rire les gamins. Il prenait celui qui allait devoir courber la cime pour tenir debout, celui qu'on pourrait décorer seulement avec un escabeau. Il gardait les sapins de noël jusqu'au mois d'avril, et il appelait ça le sapin de Pâques. On avait toujours un sapin dans la maison ou quelques guirlandes aux fenêtres, été comme hiver, et on aimait ça.
 
Après, il y a eu "plus belle la vie". Je crois que ce truc c'est fatidique. Tu sais que t'es en phase terminale quand tu regardes ce truc. Lui, avec ses insomnies, c'est jour et nuit. Il a même un casque pour écouter ça dans le noir, à n'importe quelle heure de la nuit sans déranger celle qui dort près de lui.
Avant pourtant il ne regardait que des films d'action avec Stallone dedans, et je me mettais dans le petit trou derrière ses genoux pour être avec lui.Un jour aussi, j'ai ouvert le frigo, et j'y ai trouvé du planta fin, du faux beurre aux plantes, qui ressemblait aux tonnes de faux beurres qu'il passait par les fenêtres avant. "On ne mange pas de cette merde, c'est pas naturel, moi je vous le dis ! Et puis, on va pas crever pour deux radis au beurre salé bordel." Aujourd'hui, il dit qu'il a plus le choix, qu'il a du cholestérol, et que dans la pub ils disent, eux, que c'est bon pour le cœur.
Ce jour là, j'ai cru à une blague ! Papa, secoue toi, tu dérailles grave. Il est où ton sens du Carpe Diem ? tes santiags et ton pastis? tes envolées lyriques et tes danses à poil dans la salle de bain?

Quelques mois après j'avais le droit à un résumé trop étayé de la santé de ses plantes vertes. Celle près de la fenêtre de la cuisine avait eu un peu trop chaud, quant aux rosiers, malgré les pucerons ils luttaient. Il faut traiter, aller chez Jardiland acheter tout un tas de produits, sinon ils ne passeront pas l'hiver, et ça, ça crève le cœur. Avant, il avait fait pousser comme du chiendent des pieds de tomates cerises, par poignées. Ce qui fait qu'un matin, on s'était retrouvés avec des tomates jusqu'en haut du mur de la cour. Une jungle de tomates, sur quatre mètres de haut, et qui allait saluer le voisin. On avait des tomates cerises jusqu'en décembre et on les regardait vivre comme elles voulaient

La nouvelle passion qui fait peur c'est le bricolage. Hériter d'une maison fait vieillir considérablement. Il entreprend désormais des tas de "petits projets" comme il dit. Il faut tailler les haies, planter des fleurs, repeindre les volets etc...Mais le plus effrayant n'est pas là. Le plus effrayant c'est quand je le regarde monter le mur d'une rangée de parpaing pour avoir la paix avec les voisins, c'est quand il remet des tuiles neuves sur un toit qui n'a que ving ans, c'est quand il décide de construire une porte en fer forgé façon andalouse. J'ai l'impression d'assister à la naissance de sa maison de retraité, avec nains de jardin et cadran solaire, fontaines qui glou-gloutent et grenouilles en calcaire.
Il se rend quinze fois par jour au magasin de bricolage du coin et fait la bise aux vendeuses, il discute pêche aux thons avec le directeur et s'avance dans les allées en short, les pattes arquées comme un vieux cow-boy. Je fais des glissades avec le caddie entre les pots de peintures couleur "mer de sable" et je me moque de lui. Quand il croise un vendeur, je siffle discrètement, il se retourne et je lui lance "copain", pour qu'il lui coure après et ne loupe pas une jolie discussion autour de l'augmentation des courgettes au stand de Jeanine au marché de la plage. Il se marre et me propose de me présenter Nathalie qui bosse au rayon barbecues. Ça ira je crois.

Au retour, dans la voiture, plus de Supertramp , plus de cheveux au vent, plus de cheveux d'ailleurs. Juste lui et moi, et quelques commentaires sur les nouveaux ronds-points du village.

Moi je n'ai plus de tresse en coton dans les cheveux, faite le soir au port. Je n'ai plus de chupa chups dans le vide poche, ni de CD des spice girl en boucle. J'ai un iphone et des fausses ray ban achetées rue Saint Denis dans ma ville de cons où ils ont même pas l'accent du sud. J'ai la peau rougie qui tient pas le soleil et du vernis à paillettes que j'avais pas le droit de porter quand j'étais petite fille. J'ai les pieds fièrement posés sur le tableau de bord comme pour qu'il voit le vernis. Lui non plus ne dit rien.

Je vieillis aussi. Un jour, j'arroserai les plantes papa.

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