Jacquotte

Bistrot des halles, faïence art déco.
Quelques habitués et quelques jolies tables. Nappes blanches et assiettes à l'ancienne. Ici ça sent le 1900 à plein nez et c'est comme ça qu'on se sent chez soi.
Au bout de la salle, près du radiateur, sur les banquettes de cuir rouge, Jacquotte vient boire son champagne, tous les soirs ou presque. Elle est souvent avec la "mama", la mère du patron, qui doit pas avoir loin de 80 balais. Elles picolent du champagne toute la nuit et mangent une soupe aux oignons.
On les appelle les mamies. Les mamies des halles. Elles sont comme tous ces chats qui traînent le soir sur le chantier. Elles font partie du quartier, et elles traînent leurs petits chaussons de velour dans les bars du coin.

La dernière fois que j'avais croisé Jacquotte, c'était il y a au moins un an, au zinc d'un autre café du secteur. J'étais jeune, j'étais seule, elle était vieille, et pas bien entourée non plus.
On a bu du rouge toute la nuit, en se bidonnant comme deux vieilles copines. Nos 50 ans d'écart n'ont aucune importance. La Jacquotte, derrière ses grosses lunettes et ses vêtements de mère-grand, elle se planque, c'est sa cape d'invisibilité. Parce que si tu vas au delà, si tu fouines un peu, tu découvres des paysages. Des paysages et au moins 4 ou 5 vies différentes...

Jeune fille parisienne, ne sachant que faire de sa carcasse, elle a pris la fuite sur un bateau de croisière.Pour travailler. Faire les lits, nettoyer les chambres, participer à la blanchisserie etc." Avec ça, tu croises du beau monde, tu profites des escales, ça te permet de voyager un peu et de t'ouvrir au monde jeune fille !"
Sur ce fameux bateau, au bout de quelques années, Jacquotte a croisé un homme. Ils sont tombés raides l'un de l'autre en une soirée et se sont fait la belle aux caraïbes.

Là-bas, ils ont monté une affaire, des chambres d'hôtes, des petites baraques sur la plage comme elle dit. Ils ont vécu là des années.
Puis, un jour, découvrant que son homme était plus un pirate qu'un commandant de bord, elle a bouclé de nouveau ses valises pour rentrer à la capitale.

Le quartier de halles l'attendait, et tous ses amis traînaient encore dans le coin. Pas découragée la poule,et ayant vite repris ses marques, elle a acheté une boîte de nuit en plein centre de Paris.
Les années 80 battaient leur plein. Paillettes, drogue et fête à n'en plus finir. Jacquotte a tenu bien 20 ans dans son "bouclar". Elle confesse tout de même que ça use la santé ces conneries.

Les temps changent, les voisins râlent, fermeture de l'établissement. C'est l'heure de la retraite de toute façon, et ses heures travaillées suffisent pour deux vies.
Elle s'installe dans un petit appartement du centre, où elle reçoit ses copines au café.
Puis le soir, elle vient boire son ballon de rouge dans les bistrots des halles. Saluer ses amis, ou ce qu'il en reste....

J'aimerais bien être comme elle, une petite vieille pleine de richesse intérieure qui siffle du champ' avec ses vieilles copines du quartier...Elles paient pas de mine les mamies, collées à leur petit radiateur, en silence...et pourtant elles me donnent bon espoir.
Peut être que j'aurais 4 vies moi aussi, je le souhaite. C'est ce que je lui ai dit.
 Elle m'a répondu : "Commence par quitter ce Brésilien là, c'est un con ! Il va t'avoir ma petite !Les hommes comme celui-ci, moi je les connais bien ! "
Elle avait raison. J'aurais dû terminer mon verre et me tirer en douce....

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