"Papa est fatigué"
Il y a ce souvenir mal aisant de l’enfance qui est remonté cette semaine. Par les tuyaux déviés de l’histoire des autres, je me retrouve souvent face à la mienne.
Les échanges les plus délicats pour moi sont ceux qui
traitent de l’alcoolisme. Discussion intime autour d'un thé, confidence noyée dans l'eau bouillante. J'ai souvent envie de prendre la porte ou de sauter par la fenêtre quand on pénètre ce sujet douloureux.
Je m'oblige à faire mine de ne pas être touchée, tout en étant compatissante pour que la personne devant moi se sente accueillie et comprise. Je me dis souvent qu’on doit penser que je n’ai aucune idée de ce que peut être ce traumatisme. Celui d'avoir grandi près d'un parent ivre.
C’est comme une ironie secrète.
Un jeu avec moi même.
On pense toujours que les autres ne peuvent pas comprendre... et pourtant.
Moi des parents ivres j'en avais deux.
Ils se sont perdus en cascade. D'abord l'un, puis lentement, l'autre. Plus bas encore.
Ce récit, déposé ce jour là dans mes bras est celui d'une vieille dame qui se demandait comment elle
avait pû passer son enfance à côté de son alcoolique de mère, sans s’en rendre
compte.
Sa mère s’endormait sur son fauteuil, un peu trop souvent, un peu à
n’importe quel moment. Et la petite passait toujours près d’elle, déposer une
caresse sur sa joue avinée, en pensant que maman dormait, telle une princesse,
sous le sort d’une mauvaise fée qui lui aurait jeté une malédiction.
C’est effroyablement beau.
Maman dormait à cause d'un sortilège...
On entend, avec nos petits pavillons d'enfants curieux, des phrases de
grands, qu’on peine à saisir parfois.
Ça nous fait sourire, au contact de l’assemblée devant nous, qui hilare, se moque du double sens des mots que les enfants ne peuvent déchiffrer. Codes secrets d’adultes pour enfants soucieux.
Ça nous fait sourire, au contact de l’assemblée devant nous, qui hilare, se moque du double sens des mots que les enfants ne peuvent déchiffrer. Codes secrets d’adultes pour enfants soucieux.
Dans cette famille d’agriculteurs, lorsque la mère piquait
du nez dans son assiette de soupe à 19heures, le père ricanait du bout de la
table de ferme et lançait : « Quand un veau a bien bu, il mange pu ».
Les enfants rigolaient alors pour suivre leur père et mendier un peu de complicité avec lui, sans se douter qu’ils se moquaient de leur mère, la tête lourde, qui cuvait son mauvais vin…
Les enfants rigolaient alors pour suivre leur père et mendier un peu de complicité avec lui, sans se douter qu’ils se moquaient de leur mère, la tête lourde, qui cuvait son mauvais vin…
J’ai réalisé alors, que chez moi aussi il y avait une phrase
codée.
Celle qui lance l’alerte. Celle qui officialise.
Celle qui lance l’alerte. Celle qui officialise.
Chez nous, c’était « papa est fatigué ».
Combien de fois ? Combien de soirées ? Combien de
week-ends ? Combien de moments d’incompréhension ? Combien de ruses
pour nous détourner et nous mettre au lit ? Combien de risques pris ?
Combien de trajets en voiture ? Combien d’humiliations publiques sous alcool ?
J’ai grandis avec la croyance que mon père était un clown.
Un gentil clown.
Pas de princesse ensorcelée ici, mais un papa plein de
couleurs avec des farces plein les poches.
Un papa qui vous fait rire car il saute sur le lit avec vous,
car il vous fait danser sur la table à minuit le dimanche, car il y a toujours
du monde à la maison, car il vous emmène en discothèque à 8 ans, car il a plein
de copains rigolos, car il se laisse toujours emmener par l’impulsivité, mais
celle des gentils qui adoptent des petits chats après six verres de whisky.
Alors, il nous ramenait d'énormes
cadeaux improbables.
Il achetait souvent des fleurs, et on voyait notre mère couverte
d’amour par des démonstrations toujours plus impulsives. Comme elle avait de la
chance d’avoir tout ça !
Comment maman pouvait-elle pleurer le soir alors que papa
était si gentil ? Il lui offrait des boules de savon pour le bain et des
machines pour faire de la mousse. Pourquoi elle était triste ? ça n’avait
pas de sens…
Le soir il cuisinait beaucoup, entrée, plat, dessert. Et nous on était super fiers !
En vérité, plus la préparation du repas durait, plus la bouteille de pastis avait le temps de s’éventer.
En vérité, plus la préparation du repas durait, plus la bouteille de pastis avait le temps de s’éventer.
Chaque soir, festin garanti ! Je vous assure qu'on
était mieux loti qu’au restaurant. On mangeait comme des ogres, et
c’était toujours Versailles dans nos têtes de gamins, le poulet sur un plat en
argent et les couverts du mariage. On prenait des photos parfois tellement
c’était beau…
Il mettait du soin à faire briller ses actes, et pour nous,
c’était toujours le spectacle.
Mais souvent, revenait cette phrase, que bêtement je n’ai
décodé que très tard : « les enfants, papa est fatigué ».
Cette réplique était devenue une expression à elle seule. Un langage de notre tribu que l'on comprenait avec nos subconscients sans vouloir pourtant y voir clair.
Cela voulait dire qu’on avait atteint un summum, celui qui empêche les papas d’être drôles et de faire des chatouilles. Un stade où il faut juste dire bonne nuit et aller se coucher.
Cette réplique était devenue une expression à elle seule. Un langage de notre tribu que l'on comprenait avec nos subconscients sans vouloir pourtant y voir clair.
Cela voulait dire qu’on avait atteint un summum, celui qui empêche les papas d’être drôles et de faire des chatouilles. Un stade où il faut juste dire bonne nuit et aller se coucher.
Voilà ce qu'on comprenait.
Qu'être papa ça devait demander beaucoup de courage et d'énergie. Que déjà, aller travailler tous les jours avec une sacoche à la main c'était costaud,mais faire en plus des spectacles le soir à ses enfants, ça c'était super fort !
On faisait un dernier câlin à maman dans le canapé, on passait
déposer un bisou mouillé sur la joue de papa qui ronflait.
On entendait nos petits pieds nus claquer sur le carrelage du salon pour atteindre l’escalier qui menait aux chambres.
On entendait nos petits pieds nus claquer sur le carrelage du salon pour atteindre l’escalier qui menait aux chambres.
On se couchait bienheureux, le ventre rempli et le cœur
plein. On s’endormait sourire aux lèvres…
J’ai vu en perdant mon enfance, que mon père n’était
vraiment pas drôle. Que sans sa dose, il est timide et anxieux. Agressif et
songeur. Nerveux et apathique.
Le clown au grand cœur n’existe qu’à certaines heures…
J’ai alors relu chaque moment de mon enfance. De celle de
mon frère également.
Combien de fois, combien d’instants, combien de jours,
combien de week-end, a t-on passé avec son alcool ?
La réponse est : autant de fois que j’ai de bons
souvenirs…
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