Le roi de Gambetta

Medhi il a pas une tête à s'appeler Medhi. On dirait un Richard, ou autre Christophe,mais pas vraiment Medhi.Enfin, au début en tout cas, car après quelques heures passées avec lui, tu réalises que c'est pas n'importe quel Medhi. Non, c'est MEDHI. Et, il y en a qu'un dans ce bas monde.

Place Gambetta, Paris, 21h. Medhi est à l'Edelweiss, un troquet qui fait l'angle de la rue machin. Il n'est pas le seul. Il n'est jamais seul, et fait partie du clan de ceux qui savent s'entourer (encore un clan).Il traîne sa solitude d'homme, mais ça avec la solitude des autres.Il est donc au bout du bar, un baby-coke à la main droite sur le zinc. Veste polaire vert improbable, chemise à carreaux. Malboros rouges dans la poche de la chemise, à côté du coeur. Jean Bleu clair, ceinture, poches lourdes d'un portefeuille qui bourlingue, et baskets aux pieds. Medhi est roux, enfin roux foncé. Mais quand il te sort la photo de ses gosses, tu comprends très vite qu'il est bien roux quand même.Ses gamins sont beaux, deux petits gars,14 et 11 ans. Sourire figé, photo de classe, et dents définitives qui n'ont pas encore tout à fait trouvées leur place, mais qui les rendent mignons ces minots. Chemises à carreaux, comme papa, yeux malicieux, comme papa.
Medhi est donc au comptoir. On hésite à entrer, le bar est presque plein, et toute une tripotée de joufflus et rougeots sympathiques font une haie d'honneur à l'entrée.Finalement on entre.Et quand tu entres dans un endroit où se trouve Medhi, et si t'es son ami, t'es pas prêt d'en sortir, en tout cas pas en marchant droit.

On entre, et tout de suite il se présente à nous, souriant et très ouvert. Il bavasse un peu sur le quartier, ça fait 18 ans qu'il y habite, et on sent qu'il s'y connait en Gambetta, faut pas lui la faire ! Il se tourne et tape sur l'épaule d'un gars, et nous le présente à son tour. C'est Daniel, charcutier de son état et président du club de boules ! Daniel tient absolument à ce qu'on prenne une licence hein, l'année prochaine ! A côté de lui c'est Roger le poissoniier, et puis son commis, le grand bonhomme en pull rouge au fond de la salle, coincé entre un flipper et une ancienne boulangère de 70 ans qui boit une mousse !
En 10 minutes tu connais tous les commerçants de la rue, et ça picole du rouge en bouffant du sauciflare ! Ca parle fort, ça rigole gueule ouverte et poitrine dégagée. On tousse un peu, on fume, on se marre, on boit encore, ça va un peu vite, mais tout semble tellement naturel. Je suis plus à la campagne que dans mon village maternel. Et il  n'est que 21H30.

Le truc avec Medhi, c'est qu'il est très sportif. Il est champion de "bars parallèles" comme il dit en se marrant, clope au bec ! Ce qui fait qu'on reste jamais bien longtemps dans le même bar. Et croyez-moi, il les connaît tous. D'ailleurs, il dit qu'il rentre rarement chez lui à pieds car sinon c'est embuscade sur embuscade.On remonte UNE rue, une toute petite rue pour changer de bar. On croise une civière,avec des types qui fument très vite et très intensément leurs clopes, avant d'aller dénicher le cadavre coincé au 5 ème étage d'un immeuble gris. Medhi le connaissait, un jeune de 27 ans, sa nana l'a plaqué, il s'est pendu. Encore, il a tenté de le joindre vers 15h, mais sans succès ,ça décrochait pas...La mort nous passe dans le dos. Silence 20 secondes...
Plus loin, il toque au carreaux d'une fenêtre de la rue. Je suis un peu plus loin, alors je vois juste un bras sortir et lui faire une accolade. Le bras taxe une clope, et nous invite à boire un coup.Mais Medhi préfère tracer. On trace.On arrive, 200m plus haut devant un petit resto causy, facade bleue en bois, enseigne en italique et amoureux qui mangent au calme séparés par une bougie.Sur la façade est inscrit : "Pas de jaloux, ici, le soleil rayonne pour tout le monde."
 Medhi me regarde et me lance : "On va foutre le bordel?". Irrésistible.

Nous sommes au comptoir, encore, je pense que c'est au comptoir qu'on reconnaît les vrais. J'avais remarqué ça dans ma campagne. Au zinc, c'est les habitués, les autres sont ceux qui grattent leurs jeux ou boivent un café attablé en attendant quelqu'un. Ce qui est mieux, c'est de n'attendre personne. De venir, de se poser au comptoir et d'être déja en famille.
On est trois nanas, bonnets sur la tronche, looks de bonhommes et joues roses, et puis Medhi.Il commande des mojitos, mais les "spécial Medhi".En fait le jeune barman se prénomme aussi Medhi, et c'est donc lui qui fait des mojitos. Et pour les habitués, c'est double dose. Ca fait des blagues sur "Medhi minuit et minuit Medhi", ça parle avec l'accent Tunisien, et ça raille un peu. Planche de charcuterie, fromage, olive, aubergines grillés...etc. La planche que tu pourrais penser trouver partout. Sauf que le chef il est du Sud (de la France) ou bien du Nord (de l'Afrique), et je peux te dire que ça se sent. C'est coloré,épicé,généreux, comme à la maison (Toi même tu sais, comme dirait mon frère !).
On se goinfre en se marrant comme des dindes, et pendant qu'on se marre comme des dindes Medhi boit. Toi tu bois un verre; lui il en boit trois.Il se lève avec des verres vides plein les mains et sort du resto......?........Mon amie m'explique qu'il rend des petits services, fait le coursier pour les bars du coin, et ça lui paie sa planche et ses canons.C'est une affaire qui roule.On a bien vécu à l'oeil toute la soirée.
J'apprends que le barman Medhi, il a des frères, et que ses frères ils tiennent d'autres bistrots dans la rue d'à côté.(J'apprends aussi, qu'un soir, complètement rond, il a voulu se foutre à poil dans le bar de son frère en insultant la serveuse de connasse. Mais ça, chut.) Il nous sert des shooters.
 C'est du whisky Japonais. Ça dépote grave, et je sens que la soirée va être longue. Je bosse demain, j'imagine déja le son du réveil...Soudain je regarde ma montre, et constate qu'il est 22H30.
Il est 22H30, je déteste le whisky et je suis déchirée. Bravo.

500 mètres plus loin. Bar du frère de Medhi (pas le vrai, le barman). Terrasse blindée, plein de jeunes bobos qui fument des roulées, écharpes en grosse mailles et chaussures dénichées dans un vide-grenier.Marinières à gogo et casquettes de Gaveroche qui se la raconte. Mais sympa. Murs recouverts de toile de Jouy, taguée de robots et autres monstres geek en tout genre. Le bar est immense, le comptoir ressemble à un rail de manège disney.C'est disney, le disney du 20ème. Notre Medhi salue tout le monde et s'avance au comptoir. Il commande encore trois mojitos, et puis du blanc, et puis du rouge...et puis tiens...un sky.
Et là apparaissent de l'arrière de la boutique plein de Medhis (barman) mais avec des variations. Si on met les cinq ou six frères les un à côté des autres, ça doit faire une drôle de guirlande. Un truc à la Dragon-ball Z, un personnage et ses différentes évolutions. Il y a des Medhis plus grands, plus gros, plus blond, plus blanc....une équipe de Medhis quoi !. J'ai oublié leurs prénoms je dois dire, et c'est carrément dommage. Mais l'alcool n'aidait pas, et non, je ne voyais pas double ! Ca chante là dedans, ça sent le vin chaud et la picole. Des étrangers tentent de communiquer et nous on fait des petits pas chassés et racontant nos vies et nos théories fondées sur du vide.Lumières rouges,musique qui monte, alcool aussi....

Il est 23H30, et je voudrais vraiment rentrer chez moi. Mais j'ai dû dire un truc qui signifiait l'inverse. Embuscade totale. Direction ménilmontant. Fixette sur les passages cloutés. Quand je suis raide, je m’efforce toujours de marcher sur les lignes blanches seulement des passages cloutés, pour les crocodiles (un peu à jeun aussi...). En général s'en suit la chanson "ah les crocrocro les crocrocro...." C'est à ça je sais qu'il est temps que je m'arrête. Cette chanson est ridicule, moi aussi, et pourtant je hurle dans le noir de la ville, en voulant me véhiculer en poubelle.C'est moche.

700mètres plus bas. Ambiance noire et néons verts fluos. Teufeurs sur le trottoir et regards un peu désobligeants il faut bien le dire. On manque de baggys et piercings je crois. Ça nous pose aucun problème, eux ils kiffent moins.
Et PAF, tu sais vraiment que tu as trop bu, quand tu te retrouves à danser en doudoune devant un mur de son avec des vendeurs de speed. Tu t'en fous, tu aimes tout le monde.Medhi parle avec le barman. Medhi danse. Medhi me paie la trentième cigarette de la soirée.
Discussion avec "Nathy", une ancienne banquière convertie à la couture, et qui te fait des fringues sur mesure sur le net. Regard hagard, chevaux plaqués sur le front, paupières rouges et veinées. Un oiseau tombé du nid. Petite et frêle. Et puis elle me parle du festival des vieilles charrues, d'un mec qu'elle connaissait pas à poil dans sa tente un matin. Et tout ça....On rit fort, on se connait pas, on fume ensemble.C'est naze, c'est beau.

Une heure ou deux plus tard. Je suis dans un taxi. Le chauffeur est bavard.On parle des loyers trop chers, du quotidien des cons que nous sommes, du ciel, un peu des étoiles.De la recette du mafé, de la mairie, de nos amis...etc.
Billy Paul entame "Your song" à la radio.Et je raconte au chauffeur que cette chanson si joyeuse, c'est celle qui ma mère a choisit pour son enterrement. Je pleure un peu, en souriant.Et il se met à chanter avec moi. On crie un peu même sur la chanson...et ça fait un bien fouuuuuuuuu....



Hier soir, j'étais vivante. Merci Medhi.

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